Atelier d’écriture : une nouvelle qui parle d’hypnose

LITHOTHERAPIE

AGATHE

6h30 : la radio du réveil se déclenche avec la voix enjouée de l’animateur « 19 degrés aujourd’hui, encore une belle journée ensoleillée à Aix. ».

Agathe se réveille l’esprit embrumé, mais ce matin elle n’a pas le temps de traîner. Aujourd’hui elle anime sa première journée de formation à La Timone. Elle aurait mieux fait de préparer son plan hier mais elle ne voulait pas annuler son créneau de bénévolat aux Baumettes.

6h45 : La voix de l’animateur est devenue plus grave « Rebondissement dans l’affaire du meurtre de Cassis ; après toutes ces années l’enquête est ré-ouverte grâce à la découverte d’une carte postale. La Youtubeuse Cristal, connue notamment pour ses Hashtags « Ton Mutisme : Des Massacres », est incriminée… ». Agathe sort de la salle de bain et éteint la radio pour se concentrer.

Elle griffonne à la hâte les points importants pour son cours :

– l’hypnose conversationnelle permet d’induire un état hypnotique sans que la personne s’en rende compte ;

– c’est toujours l’inconscient de la personne hypnotisée qui garde le contrôle ;

– mais couplé à des techniques de manipulation ; il y a moyen de suggérer à la personne  une idée, que la personne prendra ensuite pour sienne.

– Exemple : le film Inception ou certains discours politiques.

Elle se relie et raye finalement son dernier exemple. Ce serait dommage de gâcher ses derniers efforts de diplomatie.

Elle reprend :

-Que les erreurs du passé nous servent ; que toutes les personnes emprisonnées à tord dans le passé, à cause de faux souvenirs induits en hypnose, puissent éviter des drames futurs.

PIERRE

6h30 : la radio du réveil se déclenche « 11 degrés aujourd’hui, encore une journée pluvieuse sur la capitale…».

Pierre file sous la douche et se prépare.

7h : Pierre boit tranquillement son café. A la radio passe la chanson de Radiohead « No surprises ». Pas très joyeuse pour un début de journée, mais Pierre adore cette chanson, alors il l’écoute quelques instants avant de replonger en pensées dans la planification de sa journée : d’abord visites libres au cabinet, les cas de gastro commencent à se calmer, puis après-midi à l’hôpital avant de revenir au cabinet pour les visites sur rendez-vous . Pourvu que Mme Lazulis supporte bien sa chimio.

7h15 : son plan de journée étant clair dans sa tête, il prend 5 mn pour se balader sur les réseaux sociaux. Pas tant qu’il raffole de cela – il a même plutôt cette technologie en horreur – mais il lui faut bien être informé pour ne pas être complètement perdu quand ses jeunes patients lui parlent des sujets d’actualités. Il voit que quelques photo de profils ont été remplacées par les lettres TMDM. Tiens une nouvelle mode !

7h25 : Une dernière gorgée de café avant le départ ; mais celle-ci manque de faire fausse route. Pierre la recrache violemment au moment où il lit :

« Rebondissement dans l’affaire du meurtre de Cassis ; après toutes ces années, enquête ré-ouverte grâce à la découverte d’une carte postale ! ».

Il diffère son départ le temps de lire l’article :

« Une carte postale datée de quelques semaines avant le meurtre, faisant apparaître des menaces de mort, incrimine la Youtubeuse Cristal alias Julie Tamadiane, militante féministe connue notamment pour son soutien aux victimes de violence, aux migrants, avec ses fameuses vidéos « on a toujours le choix ».

JULIE

Mais qu’est-ce qu’elle fout là. C’est pas possible. C’est un coup-monté pour la faire taire car son combat dérange… Elle ne le connaissait même pas ce type. A l’époque où il est mort elle avait à peine 16 ans ! Elle ne le connaissait pas ! Les gens se déchaînent déjà sur les réseaux… entre ceux qui veulent sa peau et ceux qui la défendent… C’est un cauchemar ! Elle va se réveiller !!! 

Le bruit de la porte la fait sursauter. Le flic revient avec son café. Il pose la carte postale devant elle et lui dit « c’est bien ton écriture ? C’est bien ta signature ? »

Elle reconnaît en effet son écriture, sa signature, son style…

Mais elle n’a aucun souvenir d’avoir écrit cela.

PIERRE

Il relie la dernière phrase de l’article « on a toujours le choix » et d’un coup il n’entend plus aucun son autour de lui. Plongé dans le souvenir de son 1er stage d’observation. La gynéco répond de sa voix ferme « Si ! On a toujours le choix ! Si vous aviez mis un préservatif vous n’auriez pas cette MST » et la jeune fille répond la tête baissée, le regard vide « non, on n’a pas toujours le choix ». Et Pierre a bloqué sur son regard… Ce regard vide. Elle avait bien la tête baissée de la honte, mais son regard… un regard à la fois mort et vivant… comme si derrière quelquechose se cachait, ou se revivait, un souvenir souhaitant s’enterrer.

Il a couru après elle dans le couloir de l’hôpital et pour l’interpeler il l’a saisi par le bras. Elle s’est mise à hurler terrifiée.

Pour s’excuser de sa maladresse, il lui a proposé de lui offrir une boisson à la cafétéria. Quand elle a été calmée, il est revenu sur le sujet de la consultation et lui a demandé ce qui l’avait empêchée d’avoir le choix.

Après un moment de silence, comme pour jauger l’écoute de ce tout jeune médecin, la jeune fille s’est laissée aller à raconter la fameuse soirée où elle avait contracté cette maladie honteuse.

L’année précédente on l’avait envoyée en sanatorium pour ses problèmes de santé. Bien qu’elle n’eût que 15 ans on l’avait envoyée en centre pour adultes car les places en pédiatrie étaient saturées. Un soir, lors d’une soirée bingo où tout le monde était réuni dans la grande salle, des ambulanciers étaient arrivés pour aller chercher un patient qui venait de faire une tentative de suicide dans une des chambres du rez-de-chaussée. Tout le monde était resté figé le temps que les ambulanciers récupèrent le patient inconscient et le mettent dans l’ambulance, puis le loto avait repris comme s’il ne s’était rien passé. Cela avait été insoutenable pour elle, ne comprenant pas comment on pouvait ignorer le drame qui venait de se vivre et continuer une activité aussi futile que jouer à miser sur des numéros. Alors elle s’était levée, criant sa colère et son angoisse d’être entourée de personnes tellement insensibles.

Pascal, un des patients avec lequel elle s’entendait bien, et l’infirmière étaient alors venus vers elle pour la calmer. Ils lui avaient proposée d’aller prendre l’air. Ils l’avaient emmenée sur le balcon et l’infirmière lui avait donné un anxiolytique. D’habitude l’adolescente voulait toujours garder le contrôle, mais elle se sentait vulnérable et avait fait confiance à la soignante. Elle avait donc accepté de prendre une substance calmante. Elle se souvenait avoir continué de discuter plus calmement… puis le trou noir. Jusqu’à ce qu’elle reprenne connaissance dans le lit de Pascal…

Pierre a écouté attentivement le silence qui suivait cette confidence… jusqu’à ce que l’adolescente conclue « il m’a volé ma virginité ».

JULIE

« Je vous dis que j’ai jamais vu cet homme de ma vie !

Je ne connais pas de Pascal Baudet ! D’ailleurs je ne connais aucun Pascal !

Je ne comprends rien ! Ca doit être un fake ! Avec mes vidéos et tout ce que je publie tout le monde connaît mon écriture… On a dû simplement m’imiter !

En plus cette carte n’a rien à voir avec une menace de mort, ça ressemble plutôt à un appel à l’aide !»

Le flic lui demande alors de lire la carte à voix haute. Julie s’exécute.

TU M’AS DETRUITE, JE N’AI PAS

MERITE CELA. Il M’EST IMPOSSIBLE

DE TE PARDONNER ET D’OUBLIER. MAINTENANT TOUT CE QUE JE VEUX C’EST

MOURIR

JULIE TAMADIANE

Ah ça t’amuse Cristal de faire la maline ; de jouer avec les mots ; de faire passer des messages cachés ; maintenant lis de haut en bas ! »

Bien sûr Julie comprend ce qu’il veut dire, ceux qui la suivent sur les réseaux connaissent bien ses slogans en acrostiches, toujours 4 lignes, sur les 4 consonnes de son nom.

« Te fous pas de moi » se met à crier le flic. « Pas la 1ere lettre mais le 1er mot de chaque ligne !

Et là les mots restent coincés dans sa gorge ; ses yeux lisent avec effroi.

AGATHE

Finalement sa formation s’est très bien passé. Les soignants voulant surtout de la pratique, elle se dit qu’elle a bien fait de ne pas perdre de temps à préparer un powerpoint. Ils ont tous expérimenté qu’on pouvait vivre des choses étonnantes même dans un état très proche de la conscience ordinaire.

« Ils ont un peu quitté leurs préjugés fondés sur l’hypnose de spectacle ; objectif atteint ! » se dit-elle.

Elle se pose dans son canapé, en souriant au souvenir de chaque stagiaire épaté d’avoir réussi en quelques minutes à engourdir leur main. « Ah la technique du gant magique, c’est toujours bluffant ! ». Elle pense déjà à la prochaine formation quand son téléphone sonne. Elle regarde le nom qui apparaît sur son écran et se met à souffler avant de décrocher.

– « Non Hadrien, tu sais très bien pourquoi j’ai quitté l’expertise. Décider qui va en prison ou qui en sort, ce n’est pas pour moi. Je m’occupe des victimes, je ne peux plus m’occuper des agresseurs. »

– « Agathe s’il te plaît, je te demande juste un coup de main ponctuel. Juste savoir dans quelle direction je pars, savoir si on est plutôt sur un terrain mythomaniaque ou dissocié. Je garde toute responsabilité. Je te demande pas un avis tranché, juste un point de départ. »

JULIE

Le lendemain, quand Julie voit entrer une femme brune dans le bureau elle se méfie… elle sait bien que c’est pour l’évaluation psychiatrique. Elle n’aime pas les psy ! Ils prennent les gens de haut, vous jugent, font semblant de vouloir vous aider, et quand vous n’allez pas mieux ils vous font croire que « c’est parce que vous ne le voulez pas vraiment ».

Julie ne veut pas la regarder, mais elle voit du coin de l’œil que la femme la regarde, l’observe, la jauge. Aucune des deux ne parle. Si la femme pense que Julie va craquer la première elle se goure complètement. Il est hors de question que Julie lui dise quoique ce soit.

Les minutes passent. Dix. Vingt. La femme est assise à l’autre bout de la pièce, elle est calme, presque souriante. Au début cela a un côté exaspérant. Mais finalement ça a presque un côté apaisant. De ne pas être seule, mais sans devoir se justifier.

Trente. Quarante minutes… La femme se lève enfin, et se dirige vers la sortie… « Attendez ! » s’entend crier Julie, frustrée de se rendre compte que cette femme a fini par gagner, et balance à la femme : « vous êtes une sacrée sadique ».

La femme lui répond calmement « Est-ce que je suis une sacrée sadique ? Non, je suis juste une simple Agathe ». puis s’en va.

AGATHE

Quand Agathe sort du bureau un passage de chanson traverse son esprit « on ne ment qu’avec des mots, des phrases qu’on nous fait apprendre… » ; elle sourit en se disant que cette simple phrase de Goldman élimine l’hypothèse de la mythomanie.

Le silence de Julie lui a en effet facilité le travail. Elle a eu tout le loisir d’observer son « non verbal » . Et Julie n’avait pas le regard d’un prédateur, mais plutôt d’une proie apeurée.

Agathe a été touchée par cette jeune femme.

Elle griffonne pour Hadrien :

– Hypothèse : État de Stress Post-Traumatique (en effet ça ressemble bien à un état dissocié).

– A tenter : utiliser un ancrage pour faire resurgir le contenu mnésique enfoui.

JULIE

En cellule le temps se distord… à la fois long, les journées semblent interminables, et comme à l’arrêt, toutes les heures se ressemblent.

Julie ne comprend toujours rien, son avocat lui a dit que comme l’affaire est médiatisée on ne lui fera pas de cadeau. « Putain de justice. ».

Le surveillant passe pour le courrier. Toujours aucune lettre de sa mère, pourtant sa mère ne resterait pas si longtemps sans lui écrire. Si ces surveillants faisaient mieux le contrôle du courrier, Julie ne resterait pas sans nouvelle pendant quatre jours pour avoir un paquet de lettres le cinquième jour ; c’est sûr qu’ils le font exprès !

Le surveillant dépose une enveloppe avec une écriture qu’elle ne connaît pas. Elle ouvre, a un léger vertige, découvre une carte postale :

TA

MEMOIRE A

DU OUBLIER POUR TE

METTRE A L ABRI

Agathe

– – –

Assise dans le fauteuil que lui a présenté Agathe, Julie ferme les yeux avec appréhension. Son scepticisme commence dès les 1eres phrases. « Je vais compter de dix jusqu’à un… ». Et s’accentue au fur et à mesure. « dix, tu peux porter ton attention sur les sons autour de toi… » . Julie se demande vraiment comment cela pourra l’aider. « neuf, tu peux sentir la chaleur de ton corps contre le fauteuil… »… Pendant que le décompte continue, le questionnement de Julie s’intensifie, mais en même temps une partie d’elle se laisse porter par le discours soporifique de la psy… et quand arrive « un : tu te retrouves devant une porte et il te suffit de l’ouvrir pour découvrir ce qu’il y a derrière » ; une panique inattendue surgit dans sa poitrine ; pourtant elle ne peut arrêter de visualiser cette porte, et la voit même s’ouvrir sans le contrôle de sa volonté.

Elle voit d’abord l’obscurité… puis des formes floues… jusqu’à voir apparaître au loin ce qui ressemble à un animal : un cheval…ou un zèbre… ou un âne peut-être… Puis l’animal commence à se rapprocher doucement… Julie sent l’angoisse monter… Elle recule mais est pris au piège contre le mur. Elle ne peut pas fuir ; la porte a disparu. Elle veut crier mais aucun son ne sort de sa bouche… Elle est tétanisée, bloquée dans un instant qui lui paraît infini.

Puis quelque chose lui sert le bras gauche ; elle sursaute et regarde ce qui entoure son biceps : cela ressemble à un stéthoscope, ça ondule autour du bras, jusqu’à se figer dans une forme de huit horizontal. Puis elle plonge dans ce huit ; quitte la pièce, et revient derrière la porte… en oubliant instantanément tout ce qu’elle vient de voir.

AGATHE

Agathe écoute pour la quatrième fois l’enregistrement de la séance d’hypnose. Cela ne lui plaît pas de rester dans les locaux de l’administration judiciaire, mais elle n’a pas le droit de sortir ce genre de pièce à charge. Même si Julie parle de manière peu intelligible à cause de l’état de conscience modifiée, Agathe repère les mots âne, stéthoscope, huit.

L’amnésie post-hypnotique semble indiquer que le trauma est plus profond qu’elle ne le pensait.

Trois petits indices ; elle va avoir besoin d’un café pour stimuler ses neurones.

Elle sort du bureau pour en chercher un à la machine. Quand elle revient vers le bureau son gobelet à la main, une idée surgit : L’âne ! Elle doit alors vérifier le nom de la victime. Elle se précipite alors et quand elle traverse le carrefour de couloirs, elle ne voit pas arriver sur sa droite un homme qui marche en lisant les plaques inscrites sur chaque porte, et elle le bouscule en renversant sur lui la moitié de son gobelet.

Pendant qu’elle se confond en excuse, elle ne peut s’empêcher de s’étonner des contradictions que cet homme dégage. Des yeux cernés, un visage épuisé, une posture presque courbée et en même temps un regard déterminé. L’homme lui dit que ce n’est rien et lui demande où se trouve le bureau d’Hadrien Ménard. Quand Agathe lui répond que Ménard ne reçoit que sur rendez-vous les Lundi , l’homme répond de manière anxieuse que c’est très important, qu’il vient de Paris pour le voir, qu’en tant que médecin il ne peut pas s’absenter trop longtemps et qu’il ne sait pas s’il pourra revenir à un autre moment.

Il commence à gesticuler, insistant sur l’importance de rencontrer M. Ménard aujourd’hui. C’est alors que les yeux d’Agathe sont attirés par un signe au creux du poignet gauche de cet homme angoissé. En regardant mieux elle comprend que c’est un petit tatouage : une lemniscate, symbole de l’infini.

Elle lui dit alors qu’elle travaille avec M.Ménard sur ce dossier, et l’invite à la suivre dans son bureau.

PIERRE

Quand Pierre s’assoit devant la femme qui vient de l’ébouillanter avec son café, il est soulagé d’apprendre qu’elle est psy. Il est venu pour faire libérer Julie, il se dit que faire des aveux devant une personne habituée à écouter plutôt qu’à juger sera peut-être plus facile.

Et en effet les mots sortent facilement « Le 15 Mars 2013  j’ai tué Pascal Baudet avant de le jeter d’une falaise de Cassis ».

AGATHE

Agathe observe attentivement cet homme ; mais au lieu d’être choquée par les aveux elle se demande surtout quel est le lien entre le tatouage et l’inconscient de Julie.

Il n’y a pas de hasard.

Si l’inconscient de Julie a offert en hypnose un huit : et si cet homme a une lemniscate ; et qu’ils sont tous 2 liés au même dossier, ce n’est pas un hasard.

Alors elle encourage cet homme à raconter son histoire depuis le commencement.

Il raconte son stage en tant qu’interne, la façon dont il a été bouleversé par le regard de cette jeune fille en consultation, ses insomnies, il se trouvait complice d’un viol. Il a alors cherché dans les archives médicales les coordonnées de ce Pascal, il avait besoin de savoir si celui-ci avait commis son crime « par erreur ou par faute » s’il avait conscience de l’âge et de l’état confus de la jeune fille, s’il savait qu’elle n’était pas consentante.

L’adresse lui a appris que ce Pascal habitait au bout du monde : au bout de la Bretagne, dans le Finistère. Il l’a alors contacté par mail pour convenir d’un rendez-vous pour faire le point sur son état de santé un an après sa tuberculose pulmonaire. Pascal a d’abord été étonné que cela ne passe pas par son médecin traitant mais l’étudiant en médecine l’a convaincu en expliquant rapidement que ceci entrait dans le cadre d’une recherche nationale et était donc centralisé à Paris. Pascal a répondu qu’il ne se déplacerait pas à Paris pour cela, qu’il acceptait un entretien téléphonique, mais Pierre a prétexté un déplacement professionnel en Bretagne.

Quand Pierre est arrivé, Pascal l’a aimablement fait entrer dans sa cuisine pour lui proposer un café. L’étudiant en médecine a alors commencé à lui poser quelques questions sur son état de santé général, sa santé pulmonaire, puis sur l’expérience du sanatorium. Ces trois mois enfermés n’avaient-ils pas été trop durs à vivre ? Pascal a alors répondu avec un large sourire que c’était plutôt un bon souvenir, des vacances à la montagne offertes par la Sécu et en plus il y avait fait des rencontres agréables… Pierre était partagé entre le dégoût et la pitié pour un homme qui n’avait peut-être simplement aucune conscience du mal qu’il avait fait. Pierre a ajouté qu’il avait rencontré d’autres patients qui avaient aussi séjourné au sanatorium Chantoiseau, notamment une jeune adolescente de quinze ans qui se prénommait Julie Tamadiane. Pierre était à l’affût d’une réaction de surprise, mais Pascal a simplement répondu « ah oui Julie, elle est restée un mois pendant mon séjour, on passait pas mal de temps ensemble, je lui offrais des diabolo fraise, elle m’avait dit que si elle était la seule mineure c’était par manque de places dans les centres pour enfants. » C’est à ce moment-là que Pierre a vu rouge. Il s’est concentré pour garder son sang-froid, expliquant sa rencontre avec Julie, la MST, la virginité volée, l’absence de consentement, et le fait qu’il ne serait jamais complice de viol. Pascal s’est alors levé de sa chaise, le regard menaçant. Il a dit « elle était peut-être jeune mais je sais qu’au fond d’elle, elle en avait envie, et qu’elle faisait semblant de dormir pour garder bonne conscience. Je vais pas retourner en taule pour une Sainte-Ni-Touche ! ». Et il a frappé Pierre au visage, le projetant loin de sa chaise. Le temps que Pascal contourne la table, Pierre s’était relevé rapidement, il a attrapé un couteau laissé sur l’évier pour se protéger. Tout est allé très vite, et quand il a avancé le bras pour se mettre en sécurité, le corps de son agresseur s’est planté sur la lame. Un simple coup, un mauvais coup a suffi à trancher une artère. Il a voulu appelé les secours mais son téléphone ne captait pas dans cette campagne reculée… il est sorti pour chercher du réseau, ce qui lui a laissé le temps de se demander comment justifier sa présence ici, son acte… alors il a laissé le destin décider du sort de son agresseur sur le carrelage… le destin a mis peu de temps à faire le choix de son trépas… Puis il s’est rappelé qu’il pouvait y avoir des témoins de sa présence ici : il avait cherché les info dans les archives, il avait pris des covoitureurs pour le trajet Paris-Brest… alors il a mis le corps sans vie dans le coffre de sa voiture, a roulé de longues heures pour s’éloigner de cette adresse… jusqu’à la Méditerranée, où il l’a jeté du haut d’une falaise.

Il est ensuite allé voir Julie dans le service de psychiatrie dans lequel on l’avait hospitalisée suite à sa tentative de suicide, pour lui dire ce qu’il avait fait, qu’elle était maintenant en sécurité, et qu’à partir de maintenant elle avait le choix. Le choix de le dénoncer. Il se rappelle qu’elle était restée figée devant sa révélation, qu’elle avait juste balbutié quelques mots en regardant le symbole de l’infini tatoué sur son poignet, quelque chose comme « ma vie c’est comme votre dessin, où que j’aille je reviens toujours au même point, je ne m’en sortirai jamais » puis elle s’était évanouie. A son réveil, elle l’avait regardé l’air perdue en lui demandant « qui êtes-vous ? ». Il avait juste répondu « je suis médecin ; je suis ici pour prendre soin de vous ».

Agathe est abasourdie.

Elle dit à l’homme qu’elle va s’occuper de ses aveux, qu’elle transmettra à Ménard, qu’elle reviendra vers lui.

Ce médecin va être condamné pour un accident, alors que tant de criminels restent en liberté. Ce n’est pas juste.

La nuit qui suit elle ne trouve pas le sommeil. Ses idées divaguent. Ses rêves de justicière, petite, les nombreuses victimes qu’elle suit en thérapie, les enfants maltraités… Et son esprit se focalise sur Mina, cette patiente en thérapie depuis de nombreuses années à cause de son père incestueux. Ce père qui a violé tous ses enfants pendant des années, avec la complicité de sa femme, cet homme qui a profité de la vie jusqu’à ses quatre-vingt ans, encore en vie aujourd’hui, même si c’est en service d’oncologie pour soins palliatifs. Et si… Et s’il suffisait d’implanter quelques détails dans son esprit, déjà sûrement embrumé par la morphine… Quelques détails que seul le meurtrier pouvait connaître…

Au petit matin elle se pose à la table de son salon en s’entourant de ses armes : feuilles, stylo, surligneurs, café, ordinateur, téléphone. Elle écrit les informations qu’elle a déjà, les relie entre elles, cherche ce qu’il manque. Elle appelle Pierre, lui explique qu’avant de présenter le dossier à Monsieur Ménard elle aimerait le compléter de détails : quelle est la localisation exacte de la blessure faite pas le couteau ? Quelle marque de voiture avait-il utilisé pour emmener le corps jusqu’à la falaise ? Comment était habillé Pascal ce soir-là ?

PIERRE

Les nuits d’insomnies défilent. Pierre ne comprend pas pourquoi Monsieur Ménard met autant de temps à le convoquer. Il sait qu’il n’échappera pas à la prison. Il devrait profiter de ses derniers jours de liberté, mais son seul moyen pour fuir l’angoisse de l’incarcération est de se concentrer sur ses patients. Alors heures après heures, il fait ce pourquoi il est fait : soigner. En cette fin de journée, il ferme la porte de la chambre 212 et laisse la patiente calme et détendue grâce à l’antalgique qu’il lui a prescrit.

AGATHE

En cette fin de journée, elle ferme la porte de la chambre B14 et laisse le patient calme et détendu grâce à la séance d’hypnose qu’elle vient de lui proposer.

6h30

La radio du réveil se déclenche «21 degrés aujourd’hui, encore une belle journée ensoleillée à Aix …».

6h40 : La voix du présentateur annonce :

« Rebondissement dans l’affaire du meurtre de Cassis ; la youtubeuse Cristal innocentée par les aveux d’un octogénaire ».

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Date: mardi, 28. novembre 2023 18:51
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